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L’analyse du cycle de vie appliquée aux services numérique

Auteurs et date
  • Date de production de la fiche : 13/04/2021
  • Julie Orgelet - DDemain - consultante ACV et numérique responsable

Évaluer l’impact environnemental des services numériques, pourquoi ?

Du domicile au travail, de l’entreprise à la ville et aux services publics, les services numériques sont partie intégrante de notre quotidien et ont bouleversé nos comportements et modes de consommation. L’immatérialité des services proposés est de plus en plus remise en cause par la matérialité sous-jacente des équipements et infrastructures nécessaires au secteur digital. Cependant, les études menées ces dix dernières années sur les impacts d’une telle transformation ont porté sur des thématiques précises, s’intéressant par exemple aux consommations d’énergie des datacentres, à l’obsolescence programmée des terminaux ou encore à la gestion des déchets électroniques, mais n’ont pas proposé d’approche holistique du phénomène.

Depuis 2018, plusieurs publications 1 2 sont venues éclairer le débat et ont mis en évidence la nécessité d’avoir une approche plus globale qui soit à la fois multi-critères, multi-étapes, multi-composants, afin de pouvoir appréhender ces système complexes que sont les services numériques puisqu’ils sont l’association des terminaux utilisateurs, des datacentres et des réseaux de télécommunications, tous composés d’une multitude d’équipements ayant chacun des cycles de vie propres.

Ainsi, pour répondre à ces problématiques, la méthode de l’Analyse du cycle de vie (ACV) semble la plus appropriée.

L’analyse du cycle de vie, qu’est-ce que c’est ?

L’analyse du cycle de vie est une méthode d'évaluation environnementale au même titre que le Bilan Carbone ou les analyses d'impacts, mais elle dispose de spécificités qui rendent son approche holistique unique. En effet, utilisée depuis la fin des années 90 et normalisée dans la série des ISO 14040 : 2006 et ISO 14044 : 2006, cette méthode propose d’établir le bagage écologique d’un produit ou d’un service selon une approche :

  • multicritères : plusieurs indicateurs environnementaux sont à considérer de manière systématique en passant par le potentiel de réchauffement climatique, l’épuisement des ressources abiotiques, la création d’ozone photochimique, la pollution de l’eau, de l’air, des sols, l’écotoxicité humaine, la biodiversité. La liste des indicateurs n’est pas fixe mais dépend des secteurs d’activité,
  • cycle de vie : afin d’intégrer les impacts générés lors de toutes les étapes du cycle de vie des équipements, depuis l’extraction des ressources naturelles souvent peu accessibles jusqu’à la production des déchets en passant par la consommation d’énergie en phase d’usage,
  • quantitative: chaque indicateur est qualifié de manière chiffrée afin de pouvoir mettre sur une même échelle l’ensemble des externalités d’un produit ou d’un service et de prendre des décisions avec objectivité,
  • fonctionnelle : l’objet d’étude est défini par la fonction qu’il remplit afin de pouvoir comparer différentes solutions techniques,
  • attributionnelle ou conséquentielle : l’analyse du cycle de vie permet de caractériser de manière traditionnelle les impacts environnementaux directs d’une solution via l’analyse du cycle de vie attributionnelle mais aussi les impacts environnementaux indirects ou systémiques au travers de l’analyse du cycle de vie conséquentielle. A ce jour, les travaux portent pour la plupart sur les impacts directs mais le sujet du numérique appelle à la prise en compte des impacts sur les autres secteurs d’activité et sur nos modes de vie, ainsi l’analyse du cycle de vie conséquentielle doit se développer en parallèle.

Même si l’ACV est initialement plus appliquée sur le champ des produits, son périmètre d’actions a été élargi ces dernières années. Tout d’abord grâce à la norme ETSI 203 199 et aujourd’hui grâce aux nombreux travaux menés par les organisations professionnelles des télécommunications telles que l’ITU, par le consortium NegaOctet pour les services numériques ou encore par le Pôle Ecoconception pour les services en général. Ces travaux permettent aujourd’hui d’alimenter la règlementation française et notamment la mise en application de l’article 13 de la loi anti gaspillage et économie circulaire qui a pour objet de contraindre les opérateurs de réseaux de télécommunications à communiquer au grand public sur les émissions de gaz à effet de serre de la transmission de données.

Passer d’un produit à un service revient à conserver la philosophie multicritères et fonctionnelle mais à passer d’une approche circulaire (du berceau à la tombe) à une approche matricielle intégrant le cycle de vie de l’ensemble des équipements constituant les trois tiers (terminaux, réseaux, datacentres) permettant au service numérique de fonctionner.

Ainsi, un tel diagnostic environnemental permet d’éviter les transferts de pollutions d’une phase à l’autre mais aussi d’un tiers à l’autre du service. Par exemple, lors du passage d’une solution en local (installée sur l'ordinateur tel que Microsoft office 2010) vers une solution SaaS dans le cloud (non installée sur les ordinateurs personnels mais sur un datacentre accessible via un navigateur tel que Windows 360), l’analyse du cycle de vie permettra de s’assurer que les impacts évités au niveau des terminaux utilisateurs ne seront pas compensés par des impacts complémentaires sur le réseau.

L’analyse du cycle de vie, à quoi ça sert ?

De manière générale, réaliser l’analyse du cycle de vie d’un service numérique revient à lui rendre sa matérialité et ses externalités environnementales. Il est pertinent d’appliquer cette méthode pour :

  • établir un diagnostic quantitatif des impacts environnementaux directs d’une solution numérique
  • identifier les leviers d'amélioration les plus significatifs en vue d’un projet d’écoconception
  • comparer des solutions techniques numériques et non numériques et établir des recommandations en fonction de choix techniques et de comportements
  • communiquer de manière objective sur des performances et des améliorations de services
  • piloter sa stratégie numérique responsable et intégrer l'empreinte des services numériques dans les reportings des entreprises

L’analyse est un puissant outil d’aide à la décision au niveau de la stratégie étatique comme de la stratégie d’entreprise.

L’analyse du cycle de vie, comment faire ?

Par son caractère itératif, la méthode d’analyse du cycle de vie s’adapte à tous les niveaux de niveau de connaissance des acteurs. On peut uniquement décider d’en appliquer la philosophie, faire une évaluation cadrage rapide ou chercher l’exhaustivité par l’élaboration d’une analyse du cycle de vie conforme à l’ISO 14040.

L’important est de respecter les 4 étapes du processus : 1. définition des objectifs, de l’unité fonctionnelle et du champ de l’étude, 2. inventaire du cycle de vie – collecte des données, 3. évaluation des impacts environnementaux, 4. interprétation et s’assurer de la transparence des hypothèses et des choix effectués.

Le processus de réflexion à l’origine de la production des résultats est lui-même vecteur de sensibilisation des commanditaires et producteurs de services numériques qui leur permet de prendre conscience de leurs impacts et de leurs dépendances vis à vis d’autres acteurs.

L’analyse du cycle de vie, conclusion et limites

Les principaux atouts de l'analyse du cycle de vie sont :

  • proposer une vue globale des impacts environnementaux du produit ou service étudié,
  • consolider des données techniques et environnementales disséminées tout au long d'une chaîne de valeur complexe, diffuse (les acteurs sont aux 4 coins du monde) et mêlant ressources matérielles et humaines.

Cette démarche présente aussi des limites de plusieurs types :

  • limites systémiques : lorsque l'exercice de quantification est fait, la tendance est souvent de s'arrêter à la quantification des impacts directs d'une solution. Or il est nécessaire de réintégrer les résultats de l'analyse du cycle de vie dans un écosystème plus global et d'intégrer les effets indirects (voir la fiche concept "L’effet rebond"fiche concept "L’effet rebond") d'une solution. Ainsi l'analyse du cycle de vie conséquentielle devra se développer dans les années à venir pour répondre à ce besoin

  • limites scientifiques : certains indicateurs environnementaux manquent de maturité et reflètent mal la réalité des problématiques environnementales associées au numérique. En effet, des indicateurs comme la perte de biodiversité, la toxicité, l'occupation des sols... sont perçus comme préoccupant mais les méthodes doivent être complétées afin de nous assurer que nos choix sont pertinents au regard de l'ampleur des phénomènes

  • limites techniques : les informations à rassembler pour évaluer l'impact environnemental d'un service numérique sont multiples et s'appuient sur un nombre important d'acteurs aux intérêts parfois divergeants. Il est donc indispensable de disposer de données permettant de quantifier les impacts de l'ensemble du système de manière fiable, homogène et juste. Dans ce cadre, les bases de données disponibles à ce jour pour le secteur du numérique sont incomplètes et nécessitent un travail de consolidation et de recherche important. Actuellement, différentes initiatives sont menées pour réduire ce manque au niveau français et international.

Pour finir, l'analyse du cycle de vie n'est qu'une petite partie de la pensée cycle de vie et peut être complétée par l'analyse sociale du cycle de vie (ASCV) et l'analyse des coûts du cycle de vie (ACCV). Deux disciplines qu'il serait bon de développer dans le cadre du secteur du numérique.

Sources


  1. Lean ICT – Les impacts environnementaux du Numérique – Octobre 2018 – The ShiftProject 

  2. Empreinte environnementale du numérique mondial – Octobre 2019 – GreenIT.fr 

  3. ADEME - Analyse comparée des impacts environnementaux de la communication par voie électronique- Volet courrier électronique: Synthèse - Juillet2011 - https://presse.ademe.fr/files/acv_ntic_synthese_courrier_electronique.pdf 

  4. http://www.greenconcept-innovation.fr/ 

  5. www.negaoctet.org