Aller au contenu
Voir la fiche dans le portail

Les indicateurs : de la définition à leur construction

Auteurs et date
  • Date de production de la fiche : 08/09/2021
  • Jean-Yves Courtone : chargé de recherche Inria

Définition

Un indicateur est la traduction chiffrée d'un phénomène ou d'un concept 1. Les indicateurs peuvent avoir pour but de :

  • simplifier une information en la rendant compréhensible par un public cible,

  • décrire une situation et permettre des comparaisons dans l'espace et dans le temps.

Un indicateur est une construction : il nécessite des matières premières, les données de base, et un mode d'emploi, en l'occurrence, des conventions de calcul 1. Ces conventions de calcul sont choisies à chaque étape de la conception de l'indicateur et sont déterminantes dans l'interprétation que l'on pourra en tirer.

On distingue généralement les indicateurs simples, qui se basent sur un petit nombre de données et dont le champ est limité (ex : taux de chômage) et les indicateurs synthétiques (ou composites) qui agrègent plusieurs dimensions. Ces derniers sont en général à destination du grand public à des fins d'information ou de sensibilisation.

Typologie des indicateurs (Source : D'après Aurélien Boutaud 1)

A propos des indicateurs environnementaux

Il existe un très grand nombre d'indicateurs environnementaux et chaque organisation construit généralement un tableau de bord propre à ses besoins spécifiques.

Les indicateurs peuvent être classés en fonction de l'enjeu écologique auquel ils correspondent. Par exemple le ministère de l'écologie a sélectionné 22 indicateurs essentiels pour suivre 4 enjeux écologiques majeurs : le changement climatique, la perte de biodiversité, la raréfaction des ressources et la multiplication des risques sanitaires environnementaux 2. Le rapport sur l'état de l'environnement en France 3 propose par ailleurs un état des lieux encore plus complet en mettant en regard les indicateurs avec les limites planétaires 4.

Une autre façon d'organiser les indicateurs est la grille de lecture « Forces motrices - Pressions -- Etat - Impacts -- Réponses ». Elle permet de distinguer les indicateurs qui caractérisent :

  • les activités humaines à l'origine des pressions (modes de production, de consommation, inégalités, démographie...),
  • les pressions elles-mêmes (consommations de ressources et émissions de polluants),

  • l'état actuel de l'environnement (ex : concentration en polluants dans l'air, le sol ou l'eau),

  • les conséquences écologiques, sociales et économiques de la dégradation de l'environnement,

  • les mesures prises pour réduire l'ampleur du problème.

Zoom sur deux indicateurs environnementaux simples

Émissions de gaz à effet de serre

Les gaz à effet de serre (GES) sont des composants gazeux qui absorbent le rayonnement infrarouge émis par la surface terrestre et contribuent ainsi à l'effet de serre. Les principaux GES contribuant au réchauffement climatique sont le dioxyde de carbone (CO2), le méthane (CH4), le protoxyde d'azote (N2O), l'ozone troposphérique (O3), ainsi que certains halocarbures industriels (utilisés notamment pour la production de froid/climatisation...).

Ces gaz ont chacun un temps de subsistance dans l'atmosphère et un pouvoir de réchauffement différent. C'est pourquoi il est utile de les pondérer pour les exprimer en une unité commune : l'équivalent CO2.

La méthode du Bilan Carbone peut être utilisée pour comptabiliser les émissions de GES directes et indirectes d'une organisation ou d'un territoire 5.

Empreinte en eau

L'empreinte en eau (water footprint) mesure l'eau douce appropriée (consommée ou polluée) par une entité donnée qui peut être l'humanité toute entière, un pays, une entreprise, un ménage, un produit etc. Cet indicateur, exprimé en m3, peut être décliné selon les besoins en mesure d'intensité, par exemple m3/€, m3/tonne de produit, m3/ha.

Il comprend trois composantes :

  • l'eau « verte » correspond aux précipitations qui sont directement consommées par les plantes (évapotranspiration),

  • l'eau « bleue » correspond aux prélèvements dans les masses d'eau superficielles ou souterraines (adduction d'eau potable, irrigation, consommation d'eau par l'industrie...)

  • l'eau « grise » correspond au volume d'eau qui serait nécessaire pour diluer les polluants finissant dans une masse d'eau afin d'atteindre des standards de qualité donnés (ex : concentration en azote, demande chimique/biologique en oxygène...).

Un exemple d'indicateur environnemental synthétique : l'Empreinte Écologique (EE)

La conception d'un indicateur environnemental synthétique est complexe. L'OCDE 6 a proposé de suivre un certain nombre d'étapes qui sont explicitées ci-dessous et mises en pratiques dans l'exemple de l'empreinte écologique.

Conception d'un indicateur

Voici les étapes de conception d'un indicateur :

a) La définition de l'objectif visé, du public cible, et des dimensions à prendre en compte

b) L'identification des données de base et la mise au point des indicateurs simples permettant de représenter chaque dimension

c) La normalisation des indicateurs représentant chaque dimension afin de les rendre comparables

d) L'agrégation des indices correspondant à chaque dimension.

On distingue deux grandes familles de méthodes :

  • celles qui consistent à agréger puis comparer (par exemple la moyenne pondérée)

  • celles qui consistent à comparer les alternatives deux à deux sur un critère unique puis à agréger ces comparaisons.

On retiendra que la moyenne pondérée, qui est de très loin la plus utilisée, a des inconvénients très importants souvent non perçus par les concepteurs : notamment elle autorise une compensation entre critères (une mauvaise performance dans un critère peut être contre-balancée par une très bonne performance sur un autre critère) ce qui a tendance à pénaliser les alternatives « équilibrées » comme le montre l'exemple ci-dessous :

Pablo Lara Juan
Français 10 3 6
Math 3 10 6

Illustration de l'agrégation multicritère : avec une moyenne pondérée, Juan ne peut jamais être classé premier, quels que soient les coefficients choisis ! Source : Adapté de A. Rolland.

e) L'analyse d'incertitude et de sensibilité pour mesurer l'impact des choix méthodologiques effectués sur la valeur finale de l'indicateur composite

f) Et enfin la diffusion et la valorisation des résultats

L'empreinte écologique

Objectif et périmètre :

L'Empreinte Ecologique (EE) est un indicateur développé par Global Footprint Network qui vise à mesurer la surface bioproductive nécessaire à une population pour (i) lui fournir les ressources de biomasse qu'elle consomme, (ii) absorber ses émissions de CO2. Les questions de pollutions (air/sol/eau), d'épuisement de ressources non renouvelables, d'épuisement de ressources en eau, ou encore de biodiversité sont en dehors du périmètre d'analyse. Les dimensions prises en compte sont finalement : l'empreinte carbone (entendue comme la surface de forêt nécessaire pour absorber les émissions de CO2), l'empreinte forêt, l'empreinte de terres cultivées, l'empreinte de pâturages, l'empreinte de pêche et l'empreinte de terrains bâtis (il est en effet considéré que l'artificialisation des sols a lieu sur des terres arables). Pour ses promoteurs, l'EE est destinée au grand public mais également aux décideurs.

Calculs effectués pour chaque type de surface

L'EE propose de calculer l'empreinte de consommation de chaque pays. Cette empreinte de consommation est reliée aux empreintes de production, d'importation et d'exportation par l'équation suivante :

L'empreinte écologique (Source : D'après Global Footprint Network)

Prenons l'exemple de la forêt. L'empreinte de production (exprimée en hectare mondiaux de forêts) est calculée en divisant la quantité de bois extraite dans un pays donné (m3) par la productivité biologique moyenne (photosynthèse) des forêts au niveau mondial (m3/ha mondial moyen).

Pour éviter les doubles comptages, seules les matières premières sont considérées dans le calcul de l'empreinte de production. En revanche, tous les types de produits (transformés ou non) sont inclus dans les empreintes d'import et d'export. En présence d'un produit transformé, il faut déterminer combien de matières premières ont été utilisées pour le produire. Il est fréquent d'être confronté à la présence de coproduits : par exemple, pour faire du lait, une vache produit aussi des veaux. Il est alors nécessaire de répartir les empreintes imputées à la vache entre ces coproduits pour ne pas faire de doubles comptages et on peut pour ce faire utiliser différentes méthodes (par exemple allocation biophysique en fonction du contenu en énergie ou en protéines de chaque produit, ou encore allocation économique en fonction de la valeur de chaque produit).

Enfin, une biocapacité est également associée à chaque type de surface. Elle représente ce que la nature peut produire comme ressources/absorber comme CO2 chaque année, c'est-à-dire la valeur maximale soutenable pour l'empreinte. La différence entre empreinte et biocapacité fournit ainsi une mesure du dépassement écologique.

Ces principes, décrits plus de détails dans 7 et 8, sont appliqués à tous les types de surface.

Agrégation des différentes empreintes et biocapacités.

Pour additionner les différents types d'empreinte (forêts, cultures...), celles-ci sont exprimées en une unité commune, l'hectare global, correspondant théoriquement à un hectare de productivité biologique moyenne. En pratique, chaque type de surface reçoit un coefficient de pondération correspondant à son potentiel pour la production de nourriture (les terres cultivées ont un plus grand potentiel que les forêts qui ont un plus grand potentiel agronomique que les pâturages).

Attraits et critiques de l'Empreinte Écologique.

Le succès de cet indicateur auprès du grand public tient à sa capacité à définir un dépassement écologique : on peut ainsi communiquer autour du « jour du dépassement » ou encore du nombre de planètes qui seraient nécessaires pour soutenir notre consommation de façon durable. Il s'agit par ailleurs d'un excellent moyen de se familiariser avec la comptabilité environnementale. Cependant, il est reproché à l'EE d'être trop simplificatrice (force est de constater qu'il est impossible de résumer les problèmes étudiés à une seule dimension) et surtout de sous-estimer fortement l'ampleur du dépassement écologique, ce qui empêche d'en faire un indicateur fiable pour la décision publique (voir par exemple 9).

Enseignements pour l'évaluation environnementale

Nous pouvons tirer de ces exemples certains points clés pour l'évaluation environnementale en général :

  • La perspective du producteur vs. celle du consommateur sont deux moyens d'allouer les pressions environnementales émises à travers le monde. La responsabilité du producteur comptabilise les pressions directement émises par le système étudié (et donc théoriquement mesurables physiquement, même si en pratique il existe des manques de données et des incertitudes). Les engagements climatiques pris par les pays lors des COP adoptent cette vision. La responsabilité du consommateur comptabilise les pressions émises n'importe où dans le monde pour satisfaire la consommation du système étudié. Son calcul n'est pas univoque car il nécessite des règles d'allocation qui peuvent être diverses (physiques, monétaires etc.). Les deux perspectives éclairent des aspects différents du problème (modes de production vs. modes de consommation) et méritent d'être analysées en parallèle.

  • Éviter les doubles comptages, notamment via des méthodes d'allocation

  • Définir un dépassement écologique en comparant les pressions exercées à la capacité de charge de l'environnement local ou global. Cela s'appelle étudier la durabilité environnementale absolue 10 et cela pose par ailleurs des questions normatives incontournables : pour déterminer le dépassement écologique d'un pays faut-il considérer que la capacité de charge mondiale est répartie équitablement entre chaque être humain ou varie selon les dotations en ressources naturelles propres à chaque pays ?

Références


  1. Aurélien Boutaud. Qu'est-ce-qu'un indicateur ? [en ligne]. Millénaire 3. Disponible sur le site de M3. Consulté le 30 août 2021. 

  2. Frédéric Vey, Anne-Sophie Hesse. Indicateurs de la stratégie nationale de transition écologique vers un développement durable : comparaison internationale situation 2018 [en ligne]. Commissariat général au développement durable - Service de la donnée et des études statistiques, Document de travail n° 42, juin 2019. Disponible sur le site développement durable.gouv. Consulté le 31 août 2021. 

  3. Valéry Morard, Irénée Joassard, avec la collaboration de Benoit Bourges. Rapport de synthèse, l'environnement en France 2019. Commissariat général au développement durable, 2019 [en ligne]. Disponible sur le site développement durable.gouv. Consulté le 31 août 2021. 

  4. Centre ressource du développement durable. Les limites planétaires, un socle pour repenser nos modèles de société [en ligne]. CRDD,17/06/2021, MAJ 14/09/2021. Disponible sur le site du CERDD. Consulté le 31 août 2021. 

  5. Bilans GES. AEME. Disponible sur le site de l'ADEME. Consulté le 01 sept 2021 

  6. OECD. Handbook on Constructing Composite Indicators, Methodology and User Guide [en ligne]. OECD, 2008. Disponible sur le site de l'OECD. Consulté le 30 août 2021. 

  7. Aurélien Boutaud, Natacha Gondran. L'empreinte écologique. La Découverte, 2010 

  8. David Lin, Laurel Hanscom, Jon Martindill, Michael Borucke, Lea Cohen, Alessandro Galli, Elias Lazarus, Golnar Zokai, Katsunori Iha, D. Eaton, Mathis Wackernagel. Working Guidebook to the National Footprint and Biocapacity Accounts [en ligne]. Global Footprint Network, 2019. Disponbile sur le site. Consulté le 30 août 2021. 

  9. M. Giampietro. Footprints to nowhere. Ecological Indicators, 2014, 46. 

  10. Anders Bjørn, Katherine Richardson, Michael Zwickly Hauschild. A framework for development and communication of absolute environmental sustainability assessment methods [accès limité]. Journal of Industrial Ecology, 2019, voL. 23,n° 4. Disponible sur accès sur le site de l'éditeur. Consulté le 22/10/2021