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Le numérique : concepts et définitions pour un numérique plus écologique

Auteurs et date
  • Date de production de la fiche : 13/07/2021
  • Didier Mallarino, CNRS, EcoInfo
  • Frédéric Bordage, collectif GreenIT.fr
  • Julie Orgelet, DDemain, NegaOctet
  • Françoise Berthoud, ingénieure de recherche en informatique au CNRS, EcoInfo

Introduction

Le numérique représente aujourd'hui plus de 4% des émissions de gaz à effet de serre pour ses seuls effets directs et son déploiement accéléré peut nous faire craindre une augmentation drastique de ces émissions d'ici à la prochaine décennie1. Une économie basée sur le déploiement déraisonné de ce secteur rajouterait au dérèglement climatique de nombreux autres problèmes qui pourraient entraîner la faillite de notre modèle sociétal : 

  • Des conflits d'usage de l'eau, des conflits armés, des tensions géopolitiques insoutenables autour des ressources clés (certains métaux) nécessaires à la fabrication des équipements électroniques ont déjà lieu ou sont à prévoir à un horizon très proche.

  • Des pollutions des sols, de l'eau, de l'air sont malheureusement déjà largement constatées dans de nombreux sites miniers et de « recyclage informel ».

Par ailleurs, ce secteur industriel n'échappe pas aux impératifs de réduction drastique de ses impacts environnementaux imposés par la crise environnementale mondiale. La dépendance de plus en plus forte des autres secteurs (énergie, logistique, agriculture, transports, éducation, santé, etc.) au numérique fait peser une pression supplémentaire de robustesse et de recherche de résilience sur ce secteur. Cette tension n'est pas sans incidence sur les pistes de solutions envisagées alors même que l'amélioration de l'efficacité énergétique du numérique est compensée par sa forte croissance.

La sobriété numérique, la low tech numérique, le numérique responsable ou éco-responsable, l'écologie numérique, etc. sont autant de concepts, aux contours plus ou moins flous, qui sont nés dans ce contexte, poussés par un acteur ou un autre, repris ou non par les autres acteurs ou par les médias et donc plus ou moins saisis par la population, la sphère industrielle et la sphère politique. D'une façon générale ces concepts adressent le périmètre des équipements numériques eux même et logiciels / applicatifs associés. Parfois, le périmètre s'étend à d'autres secteurs lorsque ces derniers peuvent bénéficier de réduction de leur empreinte environnementale grâce au numérique. Mais notons que, dans leur usage actuel, ces concepts n'adressent pas, par exemple, la réduction d'empreinte environnementale d'un autre secteur qui serait rendue possible par un moindre usage de numérique.

Efficacité vs Sobriété

L'efficacité consiste à maintenir des usages identiques en réduisant leur impact (énergétique, intensité matière, etc.). Elle est souvent concomitante avec l'augmentation de ces usages via les effets rebond directs. On pourrait résumer en « faire plus avec moins ».

La sobriété consiste à faire décroître voire disparaître des usages, des valeurs ou des comportements. Elle ne nécessite pas le développement de nouvelles techniques ou technologies. Elle se rapporte au suffisant relativement aux besoins et aux enjeux d'équilibre écologique et d'équité2. On pourrait parler de « faire moins avec moins ».

La sobriété numérique ?

Dans le numérique, la sobriété s'applique aux équipements et aux applications.

Du point de vue utilisateur : la sobriété numérique est une démarche qui consiste à modérer ses acquisitions et usages numériques. 

Du point de vie de l'entreprise : la sobriété numérique consiste à concevoir des services numériques plus frugaux dimensionnés en fonction du besoin et non en fonction des possibilités techniques3. En effet, l'enjeu est d'installer la sobriété à l'échelle de nos modes de vie, c'est-à-dire à la fois au niveau des utilisateurs, des prescripteurs et des fournisseurs de service.

"Adopter la sobriété numérique comme principe d'action. Réduire l'empreinte énergétique et environnementale du numérique passe par un retour à une capacité individuelle et collective à interroger l'utilité sociale et économique de nos comportements d'achat et de consommation d'objets et de services numériques, et à les adapter en conséquence."4

Ainsi, l'idée est de réserver le numérique à des usages dit suffisants et justes permettant ainsi à chacun de bénéficier des avantages offerts par la technologie sans léser son voisin, détruire notre écosystème et notre futur commun. Il s'agit de consommer le numérique dans la limite des ressources planétaires. 

Mettre en œuvre la sobriété revient à lutter contre le suréquipement, la surconsommation, la sur-sollicitation cognitive et la réduction des durées de vie des équipements techniques. Il s'agit donc de questionner et de raisonner les usages et les pratiques.

A noter toutefois que cette démarche n'a de sens que si elle est inscrite dans une démarche de sobriété en général, faute de quoi cela peut aboutir à des transferts de pollution tout comme l'écoconception.

La low-tech

La ou les low-tech, mot à mot basses technologies, ou technologies « appropriées » sont un ensemble de technologies et de logiques visant la sobriété énergétique et matérielle, la durabilité forte et la résilience collective. La démarche incite à faire preuve de techno-discernement5.

Le concept de low-tech s'applique à un ensemble de technologies conçues pour être utiles, durables, accessibles à tous et qui répondent à des besoins essentiels. Contrairement à un préjugé répandu, la low-tech ne fait pas référence à un mouvement rétrograde impliquant une forme de régression qui nous pousserait à nous couper de toute forme de confort technologique : les technologies low-tech sont robustes, réparables et aident donc à lutter contre l'obsolescence programmée.

Pour être accessibles au plus grand nombre, elles sont peu coûteuses. Pour avoir un impact écologique et social le moins négatif possible, elles simplifient le processus de fabrication et essayent de faire le plus utile avec moins. Les approches low-tech se retrouvent ainsi beaucoup dans l'innovation « frugale ».

Arthur Keller définit la démarche low-tech comme une approche, une méthode, une vision, une philosophie, presqu'une culture, dépassant largement la question technologique stricte. Une démarche d'ensemble qui permet de se remettre en conformité avec les limites planétaires, c'est-à-dire de ne pas consommer davantage d'énergie, de matériaux et de ressources que ce que la Terre peut durablement fournir6.

Il existe une forme de low-tech numérique. C'est par exemple le fait d'envoyer un SMS pour confirmer la place d'un voyageur dans le TGV. Un SMS repose sur une technologie basique, fonctionne avec tous les protocoles de communication 2G à 5G, ne nécessite que quelques octets pour transmettre un message, et fonctionne sur un téléphone mobile. En opposition, le fait de télécharger une application mobile des millions de fois plus lourde pour accéder à la même information sur un smartphone 4G (ce qui nécessite donc de déployer les antennes idoines) semble démesuré par rapport au service offert par le SMS. Certes cette application fournit d'autres services, mais combien d'utilisateurs pour ces services ?

Dans le même registre, l'e-mail peut être considéré comme de la low-tech numérique comparé à des applications dernière génération conçus avec des outils de développement dernier cri, en ne gardant en tête que les utilisateurs disposant d'une excellente connexion internet et d'un smartphone récent. L'e-mail est une solution basique : un texte au format texte, transmis à l'aide de protocoles de communication très répandus : POP3, SMTP et IMAP.

Mais si l'on va un peu plus loin sur le périmètre pris en compte, on pourra considérer que les machines et les infrastructures nécessaires pour fabriquer un ordinateur, un smartphone voire un simple mobile, pour extraire les métaux nécessaires sont très loin de l'esprit low tech. Et que ces formes de low-tech numérique ne sont pas très signifiantes au regard de cette technicité nécessaire en amont.

Le numérique responsable ou éco-responsable

Le numérique responsable est une démarche d'amélioration continue qui vise à améliorer l'empreinte écologique et sociale du numérique.

Le numérique responsable recouvre :

  • le Green IT qui vise à réduire l'empreinte environnementale directe des équipements, applicatifs, et services numériques

  • l'IT for green et l'IT for Good qui mettent toute deux le numérique au service du développement durable l'une par la dimension environnementale et l'autre par la dimension sociale

  • l'accessibilité numérique

  • les achats responsables

Conclusion

Adopter l'une de ces démarches à titre individuel, au titre de consommateur, au titre de producteur de logiciels, de services ou d'équipement, au titre de législateur, etc. est aujourd'hui un impératif pour réduire son empreinte environnementale, et il serait au moins tout aussi important de se tourner aussi vers les impacts indirects et systémiques du numérique en pensant des solutions low tech de bout en bout qui conduisent à ralentir l'accélération généralisée des prélèvements de ressources et émissions de polluants : un nouveau concept à inventer ?

Pour aller plus loin :

  • La low-tech pour une société soutenable et désirable. Low-tech Lab. Site.

Sources


  1. Empreinte environnementale du numérique mondiale, 2019. Site GreenIT.fr 

  2. Fabrice Flipo. L'impératif de la sobriété numérique, 2020 

  3. Frédéric Bordage. Sobriété numérique : Les clés pour agir, 09/2019 

  4. The Shift Project, Pour une sobriété numérique, 2018 

  5. Low-tech. Wikipédia 

  6. Vers des technologies sobres et résilientes – Pourquoi et comment développer l’innovation « low-tech » ? La Fabrique Ecologique, 14/09/2019. Disponible sur le site